Alexander Murphy réalise, avec le soutien de Rubis Mécénat, un film qui documente l’avancée du projet OSCAR. Le réalisateur a suivi Stéphane Thidet dans sa recherche artistique et l’élaboration du dispositif technique d’OSCAR par les membres du LISA. Il a pensé un film en deux parties, dont la première, achevée et qui sera diffusée en fin d’année 2024, retrace la vie terrestre d’OSCAR, de sa conception à sa mise en œuvre technique.
Photogramme tiré du film d’Alexander Murphy, OSCAR, une œuvre spatiale de Stéphane Thidet, 2023 © Alexander Murphy
Observatoire de l’Espace : Vous avez réalisé en 2016 un film sur la création de Stéphane Thidet Solitaire au Collège des Bernardins. Le cadre dans lequel se déroule OSCAR est très différent, moins esthétique et avec un contexte technique très prégnant. Dans quelle mesure ce contexte a-t-il guidé vos choix esthétiques ?
Alexander Murphy : Quand Stéphane m’a parlé d’OSCAR et de sa collaboration avec l’Observatoire de l’Espace du Cnes, naïvement, je me suis projeté dans un espace futuriste avec des courbes et des lignes arrondies, une technologie extrêmement avancée, un lieu aseptisé, un monde presque virtuel. Vous imaginez donc bien ma réaction quand je suis arrivé dans les bureaux du LISA à l’université de Paris-Est Créteil qui allait réaliser le modèle spatial d’OSCAR. Une architecture héritée du brutalisme avec des murs gris imposants, de vieilles machines qui semblaient venir des années 1970-1980 où tout semble figé dans le temps, bien loin de l’univers des films Minority Report (Steven Spielberg, 2022) ou Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol, 1997) que je m’imaginais.
J’ai d’ailleurs été particulièrement interpellé par le contraste entre l’objet qu’est OSCAR, d’une esthétique remarquable qui a constamment évolué pour s’adapter aux contraintes de la Station spatiale internationale, et l’espace rigide et immuable dans lequel il était fabriqué. Ce sont ces deux éléments qui ont guidé mes choix esthétiques. Dans un premier temps, j’ai voulu souligner à travers des plans fixes et composés cet espace très graphique qu’est l’université. Ensuite, j’ai mis en valeur l’évolution organique d’OSCAR en utilisant des mouvements de caméra qui épousent petit à petit ses nouvelles courbes et sa métamorphose.
O.d.E : Les expériences spatiales avancent progressivement, avec de nombreuses étapes qu’il faut passer une à une et qui ne sont pas toujours accessibles à ceux qui ne participent pas directement au projet. Ces contraintes peuvent fragmenter la perception du projet. Comment les vous êtes-vous appropriées ?
A. M. : La temporalité de ce projet est en effet assez singulière. Elle exige de la patience, mais c’est assez beau finalement de voir l’évolution d’OSCAR au fil du temps. Je me suis placé en observateur et je pense que cette position est essentielle pour appréhender la complexité et l’ambition de ce projet. Bien sûr, certaines étapes n’ont pas été filmées, mais cela n’a pas altéré l’essence du travail accompli. Mon objectif ici n’était pas de documenter simplement le processus technique, mais plutôt de comprendre le processus de création de Stéphane à travers les contraintes techniques.
C’est captivant de voir comment ces défis ont influencé la forme finale d’OSCAR. Chaque ajustement esthétique de l’objet est une réponse aux exigences pratiques de son fonctionnement dans l’Espace. Cette approche a permis d’aller au-delà de la simple observation pour capturer la dynamique entre Stéphane et les équipes techniques et scientifiques du LISA et du Cnes.
O.d.E : OSCAR mobilise de nombreux acteurs et donc de nombreux échanges. Quelle place avez-vous accordé à la parole, au silence ou à la composition musicale ? comment pouvez-vous nous expliquer ces équilibres et quel sens ont-ils pour vous ?
A. M : Mon accès aux coulisses du projet m’a permis d’entendre parler d’un objet qui sera envoyé dans l’Espace, c’est déjà une situation assez fascinante. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’il y avait toujours une place importante donnée à l’imaginaire et au rêve malgré les nombreuses contraintes techniques. C’était assez excitant et enrichissant de voir toutes ces différentes personnes brillantes collaborer ensemble. Il y avait quelque chose de magique, chacun apportant son savoir-faire. J’ai été touché de voir une telle énergie.
Il fallait donc trouver un équilibre dans le film : comprendre la démarche, les contraintes, mais aussi la nature et l’âme de ce projet. J’ai donc rythmé le film avec des interviews pour structurer le récit, des moments de vie et d’échanges pour ressentir l’engouement autour d’OSCAR tout en créant des instants à part. Les gouttes ou des notes de piano qui ponctuent le film sont comme de petites parenthèses oniriques qui nous éloignent du moment présent et nous permettent de nous projeter dans un autre monde, où le temps est suspendu, comme si nous avions déjà quitté la Terre… Un moment avec OSCAR dans l’Espace.
Les sons et les images de Stéphane m’ont beaucoup aidé et ont dicté le ton du film ; il était d’ailleurs important de le composer avec les essais sonores de l’artiste pour ressentir plus profondément la présence d’OSCAR.
O.d.E : Vous avez réalisé la première partie de votre film alors que le projet artistique, lui, est loin d’être achevé. Si le dispositif artistique est prêt l’œuvre finale n’existe pas pour le moment. Comment êtes-vous parvenu à construire un récit face à cette temporalité suspendue, à cet inachèvement ?
A. M. : Les règles du jeu étaient établies dès le début. J’ai donc conçu le film en deux parties qui peuvent coexister tout en étant autonomes. La première partie se veut plus explicative, suivant un fil narratif linéaire qui explore l’évolution de Stéphane et d’OSCAR. Cette section contextualise et raconte l’histoire de manière claire et chronologique. À l’inverse, la seconde partie sera beaucoup plus expérimentale. Elle se détachera, je pense, de toute narration précise pour se concentrer sur une exploration artistique et déstructurée. Je la considère comme une œuvre à part entière, un dérivé de l’œuvre finale, mettant en lumière la partition créée par OSCAR.
Photogramme tiré du film d’Alexander Murphy, OSCAR, une œuvre spatiale de Stéphane Thidet, 2023 © Alexander Murphy